Jean-Claude Fournier est une légende vivante, mais il ne veut pas le savoir. Humblement, discrètement, opiniâtrement, courageusement – le métier de dessinateur de bandes dessinées requiert ces qualités -, il a dessiné au fil de cinq décennies une trajectoire d’artiste populaire, libre et unique. Lui, il dit avoir longtemps dessiné en toute innocence et avoir toujours œuvré en totale inconscience de ses actes artistiques. A tous ces titres, Jean-Claude Fournier est donc une légende vivante.
Fournier raconte que sa carrière n’est qu’une suite de coups de chance. S’il est vrai que la chance se croise, encore faut-il la reconnaître sur le bas-côté de sa route, elle klaxonne rarement. Fournier, lui, est allé à sa rencontre. Son nom était André Franquin.
1965, boulevard Saint-Germain à Paris. Jean-Claude a 22 ans, il veut devenir auteur de bandes dessinées. A la Librairie des Jeunes, appartenant aux carolorégiennes éditions Dupuis, Franquin, Tillieux, Morris, Goscinny, Peyo dédicacent. Le jeune étudiant s’offre un Gaston Lagaffe, Franquin remarque sa farde à dessin, l’oblige à l’ouvrir, apprécie ce qu’il y trouve et l’invite à Bruxelles. Paris-Bruxelles, une expédition pour l’époque, mais c’est le début d’une amitié. L’aîné accueille le cadet dans son atelier et lui montre ce qu’il sait, comme Joseph Gillain, vingt ans auparavant, avait fait avec lui. La bande dessinée est un art qui se transmet.
Il faut un courage inouï pour reprendre des mains d’un maître absolu tel que Franquin un personnage aussi populaire que Spirou. Lui, Fournier, il dit : « une inconscience folle ! » En trois albums, Fournier se débarrassera de l’héritage de Franquin, pour trouver sa propre souplesse de trait, sa dynamique narrative, à nulle autre pareille. Son émancipation n’est pas seulement graphique. En 1978, avec L’Ankou, une aventure de Spirou et Fantasio située en Bretagne sur le site d’une centrale nucléaire, Fournier plonge ses jeunes lecteurs au cœur du débat sur l’énergie atomique. Quand le personnage de l’Ankou est brandi au cours d’une manifestation, l’image filmée par la télévision fait grincer des dents les propriétaires du personnage de Spirou. Une certaine distance commence à séparer Rennes de Marcinelle. Deux ans plus tard, alors que ses deux derniers albums apparaissent comme un sommet dans son art de raconter Spirou, Fournier donne sa démission et rend le personnage. Entre 1968 et 1980 il aura signé 9 albums de Spirou, ce n’est pas anodin dans une bibliographie, c’est ainsi que l’on entre dans la légende de la bande dessinée en toute inconscience.
Les années 1980 à 2000 – celles de la parfaite maîtrise de son art graphique – voient le retour de Bizu puis l’arrivée des Crannibales – avec un trait joyeusement écorché – sur scénario de Zidrou. C’est au milieu des années 2000 que Fournier – en toute conscience, mais en toute innocence retrouvée – décide de réinventer son métier de dessinateur de bandes dessinées. Avec Lax au scénario, il se lance dans un drame réaliste himalayen entièrement réalisé à l’aquarelle sur encre de chine, Les Chevaux du vent. C’est le grand retour, inattendu et surprenant, remarquable et remarqué, de Fournier dans l’actualité de la bande dessinée. A l’occasion des septante-cinq ans de Spirou en 2013, un complot est concocté par les éditions Dupuis avec Joub au scénario et Nicoby au dessin. L’idée: un portrait en bandes dessinées d’un auteur de bandes dessinées. Un récit aux frontières de l’enquête, de l’interview, de la biographie, de l’autobiographie, du documentaire. Jean-Claude plonge les yeux fermés, généreux et inconscient. Joub et Nicoby ne
trahissent pas cette confiance et signent un livre unique sur la transmission. Drôle, émouvant et riche d’enseignements. Car si Fournier est l’inventeur de la bande dessinée en Bretagne, il ne s’est jamais posé en maître, il est celui qui – dans son atelier de Rennes – a su reproduire la belle idée de l’écolage dans la tradition belge : accueillir les aspirants dessinateurs et les aider à trouver leur propre manière de s’accomplir. C’est un fait historique et géographique. Ainsi, ce que Jean-Claude Fournier a permis, ce n’est pas l’émergence d’une bande dessinée bretonne, mais la possibilité d’une bande dessinée créée en Bretagne. Jean-Claude a prouvé que l’on pouvait rêver de neuvième art en son pays. Ce n’est pas une légende.
Dates Du 25 au 27 octobre
Lieu Palais du Grand Large, Salle du Grand Large
Public Tous publics
Thématique Grand public
Scénographie Fred LECAUX, JOUB, Anne CHOTARD